Les thématiques abordées dans mes travaux de recherche ont trait à la sécurité alimentaire et à la sécurité civile. Pour cela, j’ai choisi de travailler depuis plusieurs années maintenant sur des variables climatiques essentielles (ECV en anglais) que sont l’albédo (pour le domaine optique) et la température de surface (pour le domaine thermique). Etudier le changement des états de surface en combinant l’imagerie satellitaire optique et thermique constitue l’originalité de ma recherche. Des changements sont déjà observables et vont s’amplifier dans un futur proche avec la recrudescence des aléas et des phénomènes extrêmes : vagues de chaleur, inondations, feux, etc. Ces phénomènes d’amplitudes et de fréquences nouvelles ont un impact sur le fonctionnement des agro-écosystèmes, un domaine prioritairement ciblé par les axes de recherche du CESBIO. Des températures annuelles plus élevées avec des pics rarement atteints par le passé ont un effet néfaste sur les rendements agricoles et la productivité, avec une récurrence des épisodes de stress hydrique. Optimiser la consommation en eau est devenu essentiel car on fait face à une population mondiale croissante et de plus en plus consommatrice. Dans ce contexte, la raréfaction de la ressource en eau est devenue un enjeu majeur qui se traduit par des effets protéiformes : usage, qualité, stock, distribution. L’apport pluvial n’est plus suffisant et il s’agit de définir une irrigation adaptée. La température de surface est une variable proxy du flux évaporatif qui réagit au manque d’eau. Le stress est aussi manifeste sur l’albédo qui varie selon la modification de la structure de la plante et son contenu en pigments (le caroténoïde supplantant la chlorophylle en cas de stress).
Si l’adaptation au changement climatique (avec des cultures moins consommatrices en eau, comme remplacer le maïs par le sorgho) via des diagnostics grande échelle doit être établi, il demeure que l’atténuation doit aussi faire partie des pistes à explorer. L’albédo traduit le pouvoir réflectif des surfaces et est considéré comme le 3ième levier d’atténuation du réchauffement climatique après la réduction des gaz à effet de serre et le stockage du carbone. Grâce à la mise en œuvre de modes de gestion adaptés pour les écosystèmes forestiers et cultivés, on peut modifier le forçage radiatif de la surface – et conséquemment le bilan carbone – en misant sur un albédo plus élevé. Cette initiative n’a de sens que si elle peut être appliquée en grande échelle, ce qui souligne le rôle crucial de la télédétection. Pour cela, je m’appuie sur les données satellitaires du programme européen Copernicus. J’ai développé une méthode scientifique globale de calcul de l’albédo pour le satellite PROBA-V (300m de résolution) implémentée opérationnellement en 2018 dans le programme Global Land Service Copernicus. Je l’ai ensuite adaptée, avec du support en ingénierie, au satellite Sentinel-2 d’une meilleure résolution spatio-temporelle, d’abord dans le cadre d’un projet sur la végétation puis d’un projet urbain. Le projet ALBEDO-prairie (2020-2024) financé par le CASDAR (Compte d’Affectation Spéciale Développement Agricole et Rural) et piloté par IDELE (Institut de l’Elevage) vise à concilier une agriculture durable avec la filière des ruminants. Certaines prairies sont très réfléchissantes dans l’infrarouge, compensant ainsi l’absorption du rayonnement dans le visible, pour avoir un albédo plus élevé que les sols nus. Le bilan annuel du forçage radiatif d’une prairie peut atteindre jusqu’à 1kg C-eq au mètre carré, ce qui est largement au dessus de celui des sols nus. Ce travail est mené en partenariat avec des fermes expérimentales situées dans des régions de France au climat varié et équipées d’un albédomètre. Il est prévu d’étendre l’étude au réseau ICOS (Integrated Carbon Observation System) en suggérant des pratiques agricoles expérimentales afin de consolider les méthodes de conversion des effets radiatifs en équivalent carbone et de comparer les effets de l’albédo aux effets bio-géophysiques (flux de chaleurs, rayonnement infrarouge) et effets biogéochimiques (cycle du carbone) qui sont associés à différents modes de gestion ou à des changements d’occupation du sol. J’ai commencé à faire du prosélytisme auprès du monde agricole lors des visites des fermes expérimentales et je continue à œuvrer pour privilégier l’atténuation à l’adaptation même si celle-ci parait inévitable. Il y aura une suite puisque le projet ALBAATRE (L’ALBédo, un moyen pour Atténuer et s’AdapTer au REchauffement climatique grâce à des Systèmes de culture fourragers destinés à l’élevage des ruminants) vient d’être lauréat du CASDAR.
Je m’intéresse aussi à l’albédo pour le milieu urbain car il est prépondérant pour les îlots de chaleur urbains et la résolution de 10m de Sentinel-2 est adaptée aux prises d’initiative par quartier. Cette action s’inscrit dans le cadre d’un projet SCO (Space Climate Observatory) du CNES co-piloté par l’ADEME et le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment). L’objectif est de prioritiser les quartiers à rénover en prenant en compte le risque de morbidité (âge et revenu de la population, etc).
Mes travaux de recherche sur l’albédo s’inscrivent dans le CES (Centre d’Expertise Scientifique) Albédo – que j’anime – du pôle de surface THEIA et de l’IR Data-Terra. La Chinese Academy Sciences m’invite régulièrement pour le transfert d’expertise.
L’autre volet important de ma recherche concerne la mission spatiale franco-indienne TRISHNA (Thermal infraRed Imaging Satellite for High-resolution Natural resource Assessment) – dont je suis Principal Investigateur côté français – qui cartographiera régulièrement à partir de 2026 la température de la terre à la résolution de 60 mètres. C’est une échelle adaptée au parcellaire agricole, et donc appropriée pour les modes de gestion et les prises de décision. La mesure thermique forme le bon complément de la mesure optique pour détecter des changements rapides liés au stress. Mon implication dans la mission TRISHNA permet d’apporter toute mon expérience en gestion de projets spatiaux, après avoir travaillé pendant 20 ans sur les satellites opérationnels météorologiques puis occupé le poste de directeur adjoint de la recherche à Météo France, ce qui me permet d’avoir des connaissances transdisciplinaires. J’ai porté mon effort à structurer les équipes et à fédérer une communauté nationale autour de cette mission. Cela concerne la compréhension des processus bio-géo-physiques mis en jeu dans les diverses disciplines, les produits TRISHNA à construire, généralistes ou customisés, pour améliorer la représentation de ces processus et répondre au besoin. TRISHNA va fournir un bilan d’énergie complet et mesurer finement le rayonnement net à fine échelle, une tâche sur laquelle je travaille. Il s’agit aussi de proposer des indices (stress, confort, etc) exploitables par des utilisateurs non experts. Je travaille en ce sens afin de mobiliser une communauté utilisatrice la plus variée possible et avoir les meilleurs retours d’expérience. Pour atteindre les objectifs, soit une précision du degré Kelvin sur la température, il faut composer avec la turbulence (qui opère à des échelles de la seconde). L’étude sur ce poste d’incertitude est menée en étroite collaboration avec INRAE avec le support du CNES pour la mise en place de drones et de caméras thermiques sur des sites. On peut relier l’effet sur la mesure en température (plusieurs degrés K) à l’écoulement (vitesse du vent) et à la rugosité du parcellaire, que l’on peut aussi exploiter pour apporter une correction efficace, ce sur quoi je travaille. Un autre verrou à lever concerne les effets directionnels liés aux propriétés d’anisotropie des surfaces car TRISHNA aura un grand champ de vue pour assurer une couverture globale. L’impact peut aussi être de l’ordre de plusieurs degrés Kelvin sur la température. Ma recherche actuelle se focalise là-dessus compte tenu de mon expertise sur le sujet pour l’optique. La structure joue là aussi un rôle majeur mais à la différence de l’optique, la mesure thermique est sensible aux paramètres environnementaux (vent, humidité). Pour traiter le sujet, il existe 3 catégories de modèles : des modèles paramétrés tel Roujean-Lagouarde qui sont efficaces car peu gourmands en paramètres et en temps de calcul. Ils sont calibrés sur des modèles physiques comme le modèle 1D SCOPE qui contient un bilan d’énergie et que je continue à développer en langage Python. Des travaux plus récents (en cours) s’intéressent au modèle 3D DART développé au CESBIO qui vise aussi à avoir un bilan d’énergie. Bien contrôler la mesure thermique s’avère indispensable pour les approches fondant leur calcul sur la différence de température entre la surface (température aérodynamique) et la température de l’air. Pour valider les modèles, j’ai construit le projet TIRAMISU (Thermal InfraRed Anisotropy Measurements over India and Southern eUrope) consistant à avoir une tourelle pivotante comprenant des caméras optique et thermique afin d’observer la parcelle sous des angles différents avec des fréquences d’acquisition rapides (entre 1 Hz et 10 Hz) pour aussi capter la turbulence. Ce projet soutenu par le programme TOSCA du CNES est un concept expérimental testé en 2022 sur une parcelle de maïs faiblement irriguée de l’INRAE Auzeville près de Toulouse et qui a été exporté en Inde en 2023 sur une parcelle de riz afin d’initier la collaboration avec les partenaires indiens sur le volet CalVal de TRISHNA. Une thèse vient de démarrer qui permettra de mieux comprendre l’apport de l’optique pour le thermique vis-à-vis des effets directionnels, aussi de peaufiner les maquettes DART thermiques. Le volet urbain est aussi une composante majeure de la mission TRISHNA car les îlots de chaleur seront bien renseignés par TRISHNA qui aura 1 mesure de jour et de nuit. J’ai rédigé récemment un article grand public (http://www.news.obs-mip.fr/ilot-chaleur-quartier/) en tant que l’un des animateurs de l’Action Scientifique Transverse (AST) Milieux Urbains de l’OMP. Je travaille aussi en collaboration avec le CEREMA pour améliorer la correspondance entre les LCZ (Local Climate Zone) et l’albédo.
La mission TRISHNA est un précurseur de la future mission spatiale Copernicus LSTM (Land Surface Temperature Monitoring) de l’ESA qui sera lancée en 2029 avec le récurrent en 2030. Je participe à un Consortium piloté par la société d’ingénierie scientifique ACRI qui a été sélectionnée suite à l’Appel d’Offre pour l’ITT ESA. Le projet a démarré en juin 2023 et je bénéficie d’un support pour le transfert d’expertise au regard de la correction des effets directionnels et de la CalVal. Une étroite collaboration – moins formalisée qu’avec l’ESA – est aussi effective avec la NASA qui projette d’envoyer dans l’espace dès 2027 l’instrument SBG (Surface Biology and Geology) qui présente des caractéristiques instrumentales semblables à TRISHNA et LSTM.