Retour d’expérience sur le suivi hydrologique d’une région Indienne par télédétection
Claire Pascal, doctorante au CESBIO, sous la direction d’Olivier Merlin (chercheur CNRS) et co-dirigée par Sylvain Ferrant (chercheur IRD) a brillamment soutenu sa thèse sur le suivi des ressources en eau par satellite le 18 novembre.
Les travaux de Claire se sont focalisés sur la région du Telangana en Inde où la culture non irriguée du coton et la culture inondée du riz dominent. La région présente une saison humide, durant laquelle 4 mois de pluies de mousson intenses rechargent les aquifères et les lacs de barrage et alimentent les larges rivières de la Godavari et de la Krishna. Elle est suivie par une longue saison sèche de 8 mois pendant laquelle l’assèchement des sols oblige à irriguer les cultures avec ces ressources en eau. Les trois quarts des volumes d’irrigation sont pompés dans les eaux souterraines, et un quart dans les réservoirs de surface (100 grands barrages, plus de 40 000 petites retenues collinaires). Claire a étudié la faisabilité d’un suivi de ces ressources avec les données satellitaires actuelles et futures.
Les satellites gravimétriques (GRACE et GRACE-FO) permettent d’accéder aux variations des masses d’eau à basse résolution (300km) : eaux de surface, humidité des sols et eaux souterraines. Les satellites à micro-ondes passives (comme SMOS et SMAP) permettent de restituer la variation de l’humidité des sols à une résolution spatiale intermédiaire (25 à 40 km). Les satellites optiques multi-spectraux MODIS et Sentinel-2 permettent le suivi de la mise en culture et le développement de la végétation à moyenne et haute résolution spatiale (MRS, HRS, 1km à 10m). Les satellites stéréoscopiques (Pléiades) à très haute résolution (THRS, 50cm) permettent la restitution de la bathymétrie de centaines de petits réservoirs collinaires, dont la capacité cumulée régionale est jusqu’ici inconnue. Ces variables environnementales restituées par ces missions satellite constituent des sources de données hétérogènes qui sont ici utilisées pour explorer notre capacité à:
- Désagréger le signal gravimétrique à basse résolution avec les variables obtenues à plus haute résolution, cf GRACE_méthode

- Explorer l’apport des très hautes résolutions plus récentes pour le suivi des ressources en eau dans les structures hydrologiques de petite capacité.

- Évaluer les méthodes existantes de quantification de l’irrigation du riz à l’aide des observations d’humidité du sol SMOS et des cartes de riz Sentinel-2.

Les conclusions concernant l’observation spatiale sont les suivantes :
- SMOS peut estimer le volume d’eau en zone racinaire en combinant données et modèles (ce n’est pas un résultat de la thèse, c’était connu avant)
- L’ensemble des retenues collinaires forment une cascade de réservoirs de rétention du ruissellement de la mousson, non jaugé, maintenue par les populations locales. Leur dimension est trop restreinte pour les données altimétriques actuelles (Jason) mais aussi pour les futures données SWOT. La thèse a évalué leur capacité maximale à environ 30 mm grâce à des bathymétries issues de stéréoscopie Pléiades en période d’étiage (réservoirs vides). Cette capacité maximale peut sembler limitée en comparaison de celles des grands barrages de cet état (plus de 200mm de capacité maximale cumulée) mais la contribution de ces petites structures, situées dans ces zones en amont des grandes rivières et barrages, est cruciale pour l’agriculture irriguée alentour. Claire a montré qu’un suivi régional des volumes d’eau de cet ensemble de petites retenues est possible en utilisant ces données THRS, acquises lorsque les bassins sont vides, combinées à la détection des surfaces en eau avec Sentinel2. Pléiades n’a pas une capacité de prise de vue suffisante pour étendre cette méthode à l’ensemble de l’Inde, mais ce sera possible avec la future mission CO3D, à condition d’obtenir les modèles numériques au moment où les réservoirs sont vides (une certaine revisite sera nécessaire). La mission Sentinel-HR pourrait elle aussi répondre à ces nouveaux besoins avec plus de revisite mais moins de précision.

- La mission GRACE fournit les variations mensuelles des stocks d’eau terrestre avec une résolution (~300km) équivalente aux dimensions de la zone d’étude. Il faut déconvoluer et désagréger spatialement cette donnée pour parvenir à estimer les variations de chaque compartiment hydrologique (notamment le stock d’eau souterraine) en interaction avec les usages de sols et les pratiques d’irrigation. La thèse a porté sur l’évaluation des méthodes de désagrégation déjà employées (15 publications dans le monde) pour proposer une méthode plus réaliste de validation des désagrégations. Les différentes approches utilisant les humidités du sol issues de SMOS, le NDVI issu de MODIS, les précipitations issues de TRMM, évaluées avec un ensemble de données piézométriques fournies par l’état du Télangana et la Cellule Franco Indienne de Recherche sur les Eaux Souterraines d’Hyderabad, améliorent en général la représentativité spatiale des données GRACE. Cependant, l’incertitude sur le stock d’eau souterraine dérivé des données GRACE désagrégées reste relativement élevée. En effet, les flux de recharge et de captage de la nappe sont indirectement liés aux variables disponibles par télédétection, ce qui explique la difficulté d’obtenir un modèle prédictif à partir de ces observables uniquement. Une amélioration de la qualité du signal gravimétrique et de sa résolution, imaginé par les missions gravimétriques à venir (mission MAGIC), est donc souhaitable.

- Dans une dernière étude exploratoire, Claire a étudié en détail la présence dans certaines régions très irriguées d’un « rebond » important de l’humidité du sol en saison sèche dans le produit SMOS (ce rebond est moins présent dans les produits SMAP). Elle a lié l’amplitude de ces signaux d’humidité du sol, à l’importance de mise en culture du riz sur chacune des restitutions SMOS (25km). Ces surfaces en riz saisonnières sont estimées à haute résolution (10m) à l’aide de la chaîne de production de cartes d’occupation des sols (IOTA2) déployée sur le cluster du CNES HAL, à partir de réflectances de surface Sentinel-2 (produits L2A produits par THEIA) pour les 8 saisons de croissance du riz comprises entre 2016 et 2019, à l’échelle de l’état du Telangana. Ces relations sont des résultats préliminaires qui pourraient servir à établir un modèle quantitatif régional des ressources en eau mobilisées pour l’irrigation du riz. Une amélioration de la résolution de SMOS à 10 km, comme le propose la mission SMOS-HR, devrait améliorer les modèles trouvés. Un stage est prévu en 2023 pour aborder cette question.
