Cartographier l’occupation des sols d’une partie de l’Australie à 10 m de résolution
Peu de pays sont plus éloignés de la France que l’Australie. La carte d’occupation des sols dont nous parlons aujourd’hui concerne l’État du Victoria au Sud-Est de l’Australie. Cet État est quasiment diamétralement opposé à la Turquie avec des latitudes autour de 37°S et des longitudes autour de 145°E. Nous avons reproduit la méthode qui est utilisée pour créer la carte de la France par l’équipe OSO du CESBIO. Dans ce post, je parlerai des differentes étapes que nous avons suivies pour créer notre carte (qui, dans les grandes lignes, reprend les idées de la chaîne IOTA-2), et j’en profiterai pour vous montrer de belles images Sentinel-2 et leurs cartes associées.
La carte
Commençons par la fin, et donc par la carte complète ci-dessous.

Victoria fait à peu près la moitié de la taille de la France métropolitaine. Au Sud, vous pouvez voir la côte de la mer de Tasmanie avec la grande ville de Melbourne (en rose) à peu près au milieu, le long de la côte. Pour l’anecdote, la ville de Melbourne est très étendue et à peu près la même surface que Shanghai mais avec 5 fois moins d’habitants. Au Nord-Est de Melbourne, vous pouvez voir une large surface boisée (en vert plutôt foncé) : ce sont les Alpes victoriennes (eh oui, nous avons aussi nos Alpes !). Au Nord-ouest, on peut voir une large région agricole (en orange et en jaune) puis, à l’extrème Nord-Ouest, le désert.
Notre carte est la première carte d’occupation des sols créée à 10 m de résolution – la précédente avait été créée à 250 m (la résolution de MODIS). Je ne résiste pas à vous présenter un effet avant/après autour du Lac Eildon :

Comment cette carte a-t-elle été créée ?
Dans les grandes lignes, nous avons suivi les idées de la chaîne IOTA-2 du CESBIO, mais nous avons développé nos propres scripts d’appel à la librairie OTB, en utilisant notre algorithme de classification développé par Dr Charlotte Pelletier (une ancienne du CESBIO) pendant son séjour à Monash University : TempCNN. Voici les principales étapes du processus :
- Téléchargement de toutes les images Sentinel-2 de juillet 2017 à août 2018 (d’hiver à hiver) au niveau-2A. Pour cette étape, notre boulot a été grandement facilité par le service PEPS qui nous a permis de télécharger les produits Sentinel-2 au niveau 2A : nous avons donc collecté 4,000+ images, recouvrant 37 tuiles, et ce directement avec les corrections atmosphériques et les masques de nuages (grâce au traitement à la demande par le logiciel de corrections atmospĥériques MAJA !).
- Prétraitement. Nous avons d’abord ré-interpolé à 10 m les bandes à 20 m (et n’avons pas utilisé les bandes à 60 m), puis construit deux cubes de données (un pour toutes les images de la série et un pour tous les masques), et finalement créé un cube de données ré-interpolées temporellement (pour avoir les mêmes dates pour toutes les tuiles et enlever les nuages). Tout ça a été fait grâce à l’OTB. Petite note en passant : notre NFS est tombé en panne et nous avons dû nous résoudre à utiliser 7 disques de 4To…

Et voilà ! Nous avons mis un serveur à disposition ; vous pouvez donc allez voir le résultat sur http://MonashVegMap.org
Retour d’expérience
Du début à la fin, la création de la carte nous aura pris.e.s environ 6 mois : 3 mois pour obtenir un premier résultat puis 3 mois pour faire une deuxième passe et corriger quelques problèmes (principalement liés à des données manquantes – il n’est pas toujours facile de savoir que des données manquent quand on gère tant de données). Je pense que notre surprise principale a été que nous avions probablement sous-estimé le temps passé à pré-traiter les données : téléchargement et prétraitement nous ont pris 7 semaines alors même que nous récupérions directement les données au niveau 2A. Notre procédure aurait également pu être optimisée pour éviter les entrées/sorties sur les disques, ce que IOTA fait (pas de stockage de résultat intermédiaire). Globalement, nous étions surpris·e·s de nous rendre compte que le processus développé au CESBIO marcherait si facilement : nous nous attendions à devoir réinventer des traitements pour telle ou telle partie du processus, mais non (sauf peut-être la fusion des résultats des différentes tuiles). Donc, un grand merci s’impose pour l’équipe de Jordi Inglada qui a mis au point le processus.
La carte a été reçue très positivement avec de nombreux contacts et téléchargements du fichier GeoTiff final, notamment pour la modélisation des feux (un thème important en Australie, et la gestion des bassins versant et de l’agriculture.
Je ne pouvais pas finir ce post sans vous montrer une belle image de la région viticole australienne ; ci-dessous la ville de Shepparton dans laquelle nous cultivons du Shiraz (pensez Côte du Rhône poussant dans une terre ocre). On voit d’ailleurs bien les exploitations viticoles sur la carte en violet (et je recommande une visite si vous êtes dans la région).

