Tunisia / Merguellil

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Le Nord de la Tunisie est l’objet d’un développement agricole poussé depuis plus de deux milles ans et contraste avec la Tunisie centrale, historiquement marginalisée. Mais considérant que la Tunisie centrale avait le plus fort potentiel de développement agricole du pays, les autorités tunisiennes ont décidé dans les années 1990 de promouvoir des travaux de recherche et développement permettant une meilleure connaissance, et ensuite une meilleure gestion, des ressources en eau de cette région rurale économiquement défavorisée. Typique des conditions méditerranéennes, le bassin du Merguellil se prête particulièrement bien à des travaux interdisciplinaires et il constitue donc naturellement le cadre de cette proposition de recherche.

Le contexte physique

L’oued Merguellil est le second des trois grands oueds se déversant dans la plaine de Kairouan (fig. 1). Le bassin amont du Merguellil (1200 km2) est limité par le barrage d’El Haouareb construit en 1989 sur un seuil rocheux fissuré. Cet amont a une altitude variant entre 200 et 1200 m (500 m en médiane) et il présente des conditions très variées de géologie, de morphologie et de couvert végétal. La partie aval du bassin du Merguellil est un secteur de la vaste plaine de Kairouan qui s’étend sur plus de 3000 km2 (nos études antérieures se sont surtout concentrées sur les 300 km2 de la plaine les plus proches du barrage El Haouareb). Le climat est typiquement semi‐aride avec une pluviométrie moyenne annuelle de 310 mm à Kairouan (extrêmes de 108 et 634 mm), augmentant régulièrement avec l’altitude pour atteindre 515 mm à l’amont du bassin. Illustration de la forte variabilité de la pluviométrie méditerranéenne, les pluies de septembre et octobre 1969 se sont élevées à 573 mm et ont provoqué des crues catastrophiques (Poncet, 1970). La température mensuelle à Kairouan varie entre 10,7°C et 38,6°C (moyenne de 19,2°C). L’évaporation mesurée sur 15 ans au barrage El Haouareb est de 5,6 mm/jour. L’évapotranspiration potentielle (Penman) est d’environ 1600 mm/an. Les écoulements de surface observés dans le bassin amont sont très sporadiques et correspondent à un nombre limité d’événements pluvieux : environ 80 % du flux arrivant au barrage est produit en 12 jours. Cinq stations de jaugeage sont réparties dans le bassin amont, avec des qualités et des représentativités très variables de l’information ainsi acquise. Des pertes par infiltration sont observées, notamment dans la partie basse du bassin amont. Entre 1989 et 2005, le débit annuel de l’oued Merguellil a varié entre 2,5 et 37,6 Mm3 (17 en moyenne), ce qui est bien peu en comparaison des 175 Mm3 des crues de l’automne 1969 (Bouzaïane et Lafforgue, 1986).

Fig.1 : Limites physiques du système étudié.

Avant la construction du barrage El Haouareb, les crues du Merguellil se répandaient dans la plaine de Kairouan. Penet (1908) décrit ainsi précisément la manière dont les eaux d’inondation étaient redirigées par les cultivateurs. Depuis sa construction, pratiquement aucun écoulement ne passe au-delà du barrage du fait de l’évaporation et de la très forte infiltration. Avant et après 1989, de multiples aménagements de conservation des eaux et des sols ont été entrepris (retenues collinaires, banquettes, etc.) ; ils concernent actuellement environ 25 % de la superficie amont. Leur efficacité et leur impact hydrologique est très variable et évolue dans le temps (Ben Mansour, 2000). Trois petits aquifères interconnectés existent dans une partie du bassin amont. Ils sont également connectés au calcaire fissuré d’El Haouareb qui reçoit les eaux infiltrées depuis le grand barrage et assure le transfert des flux souterrains amont vers le grand aquifère détritique de la plaine de Kairouan (épaisseur allant jusqu’à 800 m).

Les utilisations productives de l’eau

Les vestiges de l’époque romaine montrent la variété des aménagements hydrauliques et des implantations urbaines et agricoles, principalement sur l’amont du bassin (Mahfoudh et al., 2004). Les cultures de céréales et d’oliviers faisaient la richesse du grenier à blé de l’empire. Ces infrastructures et ce système de production disparurent ensuite, la dernière vague des invasions arabes (7ème‐11ème siècles) étant la plus destructrice. L’empire ottoman s’intéressa peu à ces terres devenues marginales.

 Les tribus plus ou moins nomades de la région assuraient la gestion de l’eau et de l’ensemble de l’espace selon leurs règles spécifiques et leurs techniques, adaptées à un environnement difficile et impliquant l’ensemble des communautés, comme le signale par exemple Valensi (1977) pour la grande tribu des Zlass depuis au moins le 17ème siècle. La cohérence entre moyens techniques et règles de gestion assuraient la performance globale du système, même si les rôles différaient sensiblement entre propriétaires de droits (sur la terre et/ou l’eau) et simples bénéficiaires. Le protectorat français vit la création de quelques grands domaines agricoles (bien moins que dans le nord de la Tunisie) mais surtout une intensification de l’agriculture et des évolutions sociales importantes. Après l’indépendance, l’Etat a essayé de réorganiser l’espace en particulier grâce à de grandes infrastructures hydrauliques, fixer les populations nomades et dépasser le cadre tribal (Bachta et al., 2005). Le cadre réglementaire et administratif est très solide et la gestion des ressources du Kairouanais ne diffère alors plus en rien des autres régions. Le rôle essentiel des services nationaux et régionaux de l’Etat à tous les niveaux a duré jusqu’aujourd’hui, même si sont apparues récemment des incitations à une décentralisation, très limitée en fait, de la gestion de l’eau (e.g. Elloumi et al., 2006). De manière volontaire (choix de l’Etat) ou subie (très nombreux particuliers contournant la loi), les ressources en eau souterraine de la région très significativement surexploitées (fig. 2) symbolisent la complexité des enjeux socio‐économiques et des comportements d’acteurs variés.

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