Crue du Vénéon : que nous apprennent les images satellites ?
Le 21 juin 2024, la crue torrentielle du Vénéon et de son affluent le torrent des Étançons a dévasté le hameau de la Bérarde dans le massif des Écrins. Cette crue a résulté des fortes pluies et de la fonte de la neige, et a peut-être été aggravée par la vidange d’un petit lac supra-glaciaire.
L’année en cours est particulièrement excédentaire en neige dans les Alpes, en particulier à haute altitude. Le stock de neige dans le bassin du Rhône au printemps 2024 est bien supérieur à la normale des trente dernière années mais proche de celle des années 1961-1990. Or une telle crue ne s’est pas produite depuis la moitié du 20e siècle au moins à la Bérarde. Que s’est-il passé ?
Le secteur est bien instrumenté avec une station hydrométrique sur le Vénéon à 3 km en aval de la Bérarde (1581 m) et une station météorologique située à 6 km de route près du bourg de Saint-Christophe-en-Oisans (1564 m).
Le cumul de précipitation mesuré entre le 19 et le 21 juin est considérable, précisément 100 mm en 34 heures. J’ai calculé le bassin versant du Vénéon à cette station hydrométrique Saint-Christophe-en-Oisans à partir du modèle numérique de terrain RGE ALTI® 5m fourni par l’IGN. Sa superficie est de 104 km², le volume d’eau reçu pendant ces 34 heures est donc 10 millions de mètres cube, soit 84 m³/s. On constate que le débit de crue s’approchait de 80 m³/s avant que l’enregistrement ne cesse. Il est probable que ces 100 mm de pluie intense expliquent l’essentiel de la crue. Malheureusement la série de débit est interrompue et à ce jour il est impossible de fermer le bilan hydrologique. Peut-on en savoir plus sur la contribution du manteau neigeux à partir des images satellitaires ?
Ce bassin draine des zones de haute montagne dont l’antécime de la Barre des Ecrins qui culmine à plus de 4000 m d’altitude. Les fluctuations diurnes de débit indiquent que la fonte des neiges avait commencé à alimenter le Vénéon depuis le début du mois de juin (la taux de fonte est en grande partie contrôlé par l’énergie solaire donc il suit le rythme des journées).
Les images Sentinel-2 avant et après la crue montrent que le manteau neigeux a bien réduit entre les deux dates car sa limite basse remonte en altitude. Un autre détail intéressant est le changement de couleur : les zones enneigées blanches de haute altitude ont disparu, ce qui suggère que la fonte a eu lieu jusqu’aux plus hauts sommets du bassin versant. En effet, les poussières sahariennes ont été déposées à la fin du mois de mars 2024.
On peut analyser l’évolution de l’enneigement à partir des cartes de neige Theia ou Copernicus. Voici par exemple celle du 2 juillet 2024.
Une façon de résumer l’enneigement et de s’affranchir des nuages est de calculer la « ligne de neige », c’est-à-dire l’altitude qui délimite en moyenne la partie basse de l’enneigement. Pour la calculer j’utilise l’algorithme de Krajčí et al. (2014) qui minimise la somme de la surface enneigée sous la ligne de neige et de la surface non-enneigée au dessus de la ligne de neige. Dans cet exemple on obtient 2740 m.
Les cartes de neige sont disponibles depuis 2015 (Landsat 8, Sentinel-2). La série complète sur le bassin versant du Vénéon à St Christophe permet de voir la remontée de la ligne de neige entre avril (01/04 = jour 91) et août (01/08 = jour 213).
L’année 2024 se distingue par une limite d’enneigement plus basse que les huit années précédentes.
Si on superpose cette ligne de neige avec l’isotherme 0°C donnée par ERA5 on constate que l’intégralité du bassin versant était sous l’iso 0°C quelques jours avant la crue, ce qui suggère (1) qu’il a plu à très haute altitude (2) qu’il y a eu un apport de fonte, d’autant que le manteau neigeux avait déjà été bien réchauffé au début du mois de juin.
Des images satellites à très haute résolution (Pléiades Neo) ont été acquises dans le cadre de la CIEST2. Ces images permettent de voir les traces des pluies abondantes sur la neige lessivée et des avalanches de neige humide autour du glacier de Bonne Pierre.
En conclusion, les données disponibles montrent cette crue est une crue de pluie sur neige (Rain-On-Snow). On trouve tous les ingrédients favorables à ce type de crue :
- une pluie intense ;
- un manteau neigeux particulièrement étendu avec une ligne de neige basse pour la saison ;
- un manteau neigeux déjà en régime de fonte ou proche (isothermal, ripe snowpack) ;
- un apport de chaleur pendant l’évènement, ici une atmosphère chaude et humide qui a dû émettre de forte quantités de rayonnement thermique.
Les taux de fonte peuvent dépasser 20 mm/jour dans les zones de montagne. Cet apport de fonte doit être pondéré par la fraction enneigée du bassin. Le 17 juin 60% de la surface du bassin était enneigée donc on peut estimer une contribution potentiellement de l’ordre de 15 mm/jour pendant la crue à comparer aux 100 mm de pluie mesurés à St-Christophe pendant l’épisode. Donc le manteau neigeux a pu augmenter significativement l’apport d’eau liquide dans ce bassin versant. Néanmoins, d’autres facteurs aggravants sont à considérer :
- une augmentation du taux de précipitation par effet orographique : les précipitations mesurés à St-Christophe à 1564 m sont probablement sous-estimées à l’échelle du bassin versant de la Bérarde qui s’étend jusqu’à 4086 m (Pic Lory) ;
- la saturation des sols et des nappes d’eau souterraines (y compris le thermokarst glaciaire) suite à un printemps bien arrosé et une fonte des neiges en cours depuis plusieurs semaines.
Ces évènements Rain-On-Snow sont bien étudiés aux USA où ils sont connus pour déclencher des crues dévastatrices (comme le débordement du lac Oroville en Californie). Plusieurs études montrent que le changement climatique augmente le risque de crue Rain-On-Snow en haute montagne [1, 2].
Les images Pléiades Neo étant des prises stéréo, elles devraient également permettre aux géomorphologues de calculer les volume de sédiments charriés lors de cette crue exceptionnelle.
Mise à jour 15/07/2024. Le SYMBHI nous apprend que « Le débit du Vénéon a atteint 200 m3/s (source EDF) à plan du Lac (St Christophe en Oisans) ». Cela ferait une lame d’eau horaire de 7 mm, ce qui reste compatible avec les mesures du pluviomètres de St Christophe (on observe 3h avec des taux supérieurs à 8 mm/h).